Nous terminions
notre dernière chronique sur ces mots : « Si vous n’êtes pas
convaincus, allez voir ailleurs ! Aux USA par exemple … ».
L’honnêteté oblige à dire que Trump nous a bien eus. Exact contraire des
qualités que nous exigeons de nos politiques (expérience, compétence,
éloquence) on le voyait plus ridicule que président. Voilà un homme sans parti
(les Républicains étaient en majorité opposés à sa candidature), sans
militants, sans programme ; par ailleurs antipathique, raciste, sexiste,
xénophobe, homophobe…, tout le contraire de ce que l’on attend du responsable de
la plus grande démocratie du monde mais qui parvient à se faire élire président
des États-Unis avec, en prime, la majorité dans les deux chambres du congrès.
Tous les pouvoirs en somme et cela sur un seul slogan :
"USA !".
On peut cracher son
venin, se couvrir la tête de cendres. On peut aussi tenter de comprendre
pourquoi cela est arrivé. Petit retour en arrière.
On pensait la lutte
des classes terminée en même temps que s’effondrait le marxisme. Jadis la lutte
des classes était une réalité simple, elle opposait le capital au travail, les
patrons au prolétariat comme l’on disait.
Paradoxalement, le
meilleur des mondes annoncé par le socialisme avec la dictature du prolétariat
prévoyait la disparition des États et des nations au profit de
l’internationalisme. Les inventeurs de la mondialisions sont donc les marxistes
qui ont d’ailleurs conservé leur hymne : "L’internationale". Sur
ce point, au moins, le communisme avait vu juste, le monde sera "global"
et de fait, il l’est. La règle aujourd’hui est la libre circulation des hommes,
des capitaux et des marchandises. Ils en avaient rêvé, ce sont les libéraux qui
l’ont fait, avec la complicité du grand capital.
Les résultats furent
impressionnants : forte croissance, explosion des échanges,
automatisation, innovation, concurrence, baisse des prix, liberté du commerce
et de l’investissement …
Une grande partie de
la population en a largement profité, elle s’est enrichie comme jamais dans
l’histoire de l’humanité, au moins depuis la conquête du nouveau monde. Les
élites se sont goinfrées et se sont assuré puissance et privilèges.
Mais le prix à payer
devait s’avérer rapidement élevé pour une autre partie de la population qui a
vu son pouvoir d’achat se tasser et l’insécurité dans le travail se
développer. Elle en a éprouvé un ressentiment d’injustice en même temps que
grandissait la peur du déclassement et même l’éventualité de la pauvreté.
Nous ne parlons pas
ici du prolétariat qui est une notion dépassée. Des ouvriers et des petits
employés, il y en a toujours, certes, mais de moins en moins et surtout ils sont
beaucoup mieux protégés par une politique sociale plutôt généreuse, dans la
plupart des démocraties en tout cas, et la nôtre en particulier. Ils font aujourd'hui partie cette fameuse "classe moyenne" dont on ne sait pas
trop bien d’ailleurs ce qu'elle elle englobe. Un peu tout, du contremaître au CSP+
(cadre de haut niveau), des commerçants aux artisans et aux petits
entrepreneurs. En l’occurrence Trump a trouvé l'essentiel de son électorat dans la classe moyenne inférieure et populaire, majoritairement blanche et masculine ... Mais on sait très bien ce qui les unit : ils ne sont ni
riches ni pauvres et redoutent par dessus tout le déclassement, ils ont peur de reculer dans la hiérarchie sociale, de perdre
leur travail, d’avoir du mal à se loger, d’être contraints de s’endetter
toujours plus, de devoir ramer pour trouver les stages scolaires ou universitaires qui sont obligatoires pour leurs enfants. Soumis aux contraintes de la compétitivité et
de la rentabilité, ce sont les victimes de la mondialisation.
Comme des millions et des millions de gens de
par le monde nous nous sommes réveillés ce matin avec une grosse migraine et
une forte déprime. Mais ne concluez pas de ce que nous venons de décrire sur
les déboires de la classe moyenne que nous avons rejoint le camp des populistes
et extrémistes. Ni Le Pen, ni Mélenchon ! Jamais.
Personne ne peut nier que, globalement le niveau
de vie des classes moyennes, supérieures et inférieures, a fortement augmenté depuis des décennies et
qu’elles ont largement bénéficié d’un "modèle social" comme l’humanité n’en a
jamais connu. C’était mieux avant ? Foutaises… Le problème précisément est
la peur de perdre tous ces acquis et de
reculer dans la hiérarchie sociale. Ne croyons pas qu’elles revendiquent de
l’assistance. L’humiliation serait pire que la peur. C’est ce que la gauche n’a
pas encore compris, qui cherche à récupérer par des allocations, des prises en
charges, des gratuités ou des baisses d’impôts ciblées (comme l’a promis … pour
2017, le gouvernement français au profit des classes moyennes inférieures), les
voix égarées.
Ce que
demandent les classes moyennes c’est la sécurité, la liberté d’entreprendre, la
stabilité fiscale, l’arrêt de l’immigration, la protection douanière pour les
produits locaux et moins d’inégalités. Elles sont d’accord pour travailler,
payer des impôts, cotiser pour la protection sociale, acheter ou louer un
logement. Boulot, impôt, dodo… Un peu médiocre, sans doute, mais les classes
moyennes constituent le noyau dur de la société. La gauche ne les jamais
comprises, elle n’a pas le logiciel pour cela. En fait, personne ne les représente,
ne les écoute et surtout ne les considère.
Alors, elles se vengent, discrètement, dans l’isoloir
quand elles en ont l’occasion. Oh, pas par idéologie, cela fait longtemps qu’elles
ne croient plus aux grandes idées ni aux promesses politiques. Elles attendent, en silence, l’occasion de botter les fesses aux élites, à l’establishment. Leur
tête de turc préférée est la gauche qui pense bien, qui parle juste mais qui
agit mal. C’est normal, elles sont déçues de la gauche parce qu’elles y ont cru…
D’ailleurs, la gauche existe-t-elle encore
dans nos démocraties ? Chassée du pouvoir un peu partout elle est souvent
en voie d’éclatement. Les travaillistes en Grande-Bretagne se sont donnés un
chef auquel s’oppose la grande majorité des dirigeants et qui risque de s’échouer
sur le Brexit, lui aussi plébiscité par les classes moyennes en colère . Aux USA, on l'a vu avec Trump, qui se prépare avec les élus
républicains des relations difficiles, en comparaison desquelles les frondeurs
français sont d'aimables farceurs. En Grèce, le parti socialiste PASOK a été
avalé pas Syriza. En Espagne, le PSOE a été contraint de laisser le pouvoir au
conservateur Rajoy, pourtant minoritaire. En Allemagne, tout le monde s’attend
à ce que le SPD soit une quatrième fois de suite battue par Madame Merkel. En Autriche,
le Parti Social-Démocrate a été éliminé par l’extrême droite et les
écologistes. Et l’on pourrait continuer encore : partout la gauche est en recul.
Pourquoi les démocrates américains auraient-ils gagné alors qu’ils présentaient
une candidate qui ne plaisait à personne et donnait l'impression de les mépriser ?
En France enfin,
la gauche désunie nous prépare un feu d’artifice comme jamais on n'en a connu, avec
une multitude d’étoiles filantes de toutes les couleurs, bien que peu lumineuses,
irrésistiblement aspirées par le grand trou noir…
La vérité est que le
parti socialiste ne comprend pas, ou même ne connaît plus, ses électeurs. Il
persiste dans ses vieilles lunes et sa bien-pensance alors que ses anciens
soutiens ont peur de l’avenir et se laissent séduire par les populistes qui promettent
de renverser la table.
Aujourd’hui les révolutionnaires
sont nationalistes, contre le libre-échange, hostiles à l’immigration, attachés
à leur mode de vie. C’est ainsi… N’est-ce pas Bertolt Brecht qui disait : « Puisque
le peuple vote contre le gouvernement, il faut dissoudre le peuple ? »
La gauche est en train de devenir une espèce en voie de
disparition qu'il est temps de protéger si l’on veut sauver la biodiversité
politique.
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