"Les partis et
groupements politiques concourent à l'expression du suffrage" dit la
constitution (art.4). Mais ce n'est plus le cas. Aujourd'hui ce sont les
sondages qui décident et tout particulièrement lors de l’élection du Président
de la République. Comment les partis le pourraient-ils d'ailleurs, tant ils
sont eux-mêmes divisés ? Ils sont devenus le ring où s’affrontent les ambitions
individuelles et où s’expriment les ego. Il ne viendrait plus àun homme
politique l’idée de faire passer l’intérêt général avant le sien, pas plus que
l’intérêt, et même la survie, de son propre parti. Les français l’ont bien
compris qui ne tiennent plus aucun compte ni des projets ni des directives des
partis.
C’est la raison du
foisonnement des primaires pour désigner leurs candidats. Avant on s’en
remettait aux organes dirigeants du mouvement. Aujourd’hui ils sont bien
incapables de choisir le meilleur d’entre eux, celui qui les représentera le
mieux, celui qui aura le plus de chance d’être élu. Alors on demande aux
citoyens de le faire à leur place, de choisir eux-mêmes celui ou celle qui
défendra leurs couleurs. On aurait pu approuver s’il s’agissait de donner plus
de pouvoir aux militants, ce serait même plus démocratique. Mais non, ces primaires sont
ouvertes à tout le monde, il suffit de payer un ou deux euros et de signer un
papier où l’on déclare que l’on partage les valeurs du parti, c’est-à-dire les
valeurs de la République ! Pourquoi les citoyens seraient-ils plus scrupuleux que
les politiques ? N’importe quel petit malin peut voter pour le candidat dont il
pense qu’il sera le plus facilement battu par celui pour lequel il votera en
définitive ou simplement pour éliminer un candidat du camp adverse qui ne lui plait pas. Au
final, c'est le suffrage universel qui est dévoyé.
Mais comment savoir
que tel ou tel candidat aura le plus de chance d’être battu par son favori ? On
connaît la réponse : les sondages ! Il est de bon ton de feindre l’incrédulité
et l’indifférence face aux enquêtes d’opinion qui ne sont, dit-on, que la
"photographie de l’opinion à un moment donné et en aucun cas des
prévisions".
Mais c’est de moins
en moins vrai. D’abord, les études d'opinion se sont considérablement
améliorées en France comme l’ont montré toutes les élections depuis la dernière
présidentielle. Ensuite, parce qu’avec les primaires les sondages ont toutes
les chances de se révéler justes, pour la bonne raison qu’ils seront le critère
déterminant du choix.
Cela mérite une
explication. Et arrêtons de tourner autour du pot, prenons la situation telle
qu’elle se présente avec les personnages réels.
Commençons par la
primaire de droite et du centre. Croyez-vous que les participants à ce vote
liront les programmes de chacun et se prononceront sur leurs idées ? Quelques-uns, peut-être, et
d’autres se prononceront plutôt sur la sympathie ou l’antipathie qu’ils
ressentent. Mais la vraie motivation, celle qui emportera la décision, sera de
battre Hollande et de chasser les socialistes tout en évitant Le Pen.
L’électeur de la
primaire choisira donc celui qui, d’après les estimations, fera à la présidentielle le meilleur
score face à Hollande (ou à Valls, ou à…). Il regardera donc avant de voter qui
a la plus grande avance au premier tour sur le candidat
socialiste. Pour être encore plus clair, si la primaire avait lieu demain, il voterait
pour Juppé car c’est lui qui a la plus forte avance sur Hollande (ou sur…). Et la messe sera
dite pour la présidentielle car tout le monde est convaincu que le candidat de
la droite et du centre sera le prochain président de la République.
C’est donc fichu pour
Sarkozy ? Il est en grande difficulté, c’est certain, et il ne lui reste plus
que quelques semaines pour inverser le score. Il serait, toutefois,
présomptueux d’annoncer trop vite qu’on ne le reverra plus. Avec lui … Mais une fois encore, pour avoir une chance de remporter la primaire il faudrait
que les sondages montrent qu’il est le mieux placé à l’élection présidentielle
pour éliminer le candidat socialiste puis pour battre Le Pen. Ça va être chaud
patates !...
Vous êtes sceptiques
? Les choses sont beaucoup plus compliquées ?
Marine Le Pen, après
tout, hein, on ne sait jamais ? C’est bien d’avoir peur ! Déjà lors des
dernières élections régionales nous avions affirmé contre presque tous les
observateurs que le Front national ne gagnerait aucune région. Pour qu’elle
gagne la présidentielle, même si elle fait 30% au premier tour, où
trouvera-t-elle les 20 % qui lui manquent ? Pas à gauche, même si certains dans
son camp répugneront à voter pour Sarkozy s’il était le candidat. Pas à droite
non plus, même si certains pourraient s’abstenir par dépit de l’élimination de
leur candidat à la primaire. Pour l’instant, l’écart face à Le Pen est
sensiblement plus élevé en faveur de Juppé que de Sarkozy. C’est sûrement la
raison principale du retard de ce dernier face à Juppé.
Et Hollande ? Avec
lui ... Et si, pour le coup, il avait vraiment du bol, un très gros bol ? Après
tout il suffirait que les écolos renoncent à présenter un candidat, que les
communistes se rallient, que Macron retourne chez Rothschild, que Mélenchon se
dégonfle. À ces conditions, oui il aurait une petite chance, si toutefois il
n'était pas battu dès la primaire socialiste… Franchement, vous ne pensez pas
que pour Hollande les carottes sont cuites ?
Il nous faut
maintenant nous excuser. Comme tous les français, au bistrot ou à table, en
famille ou avec les copains, surtout s’ils ne sont pas d’accord, nous adorons
jouer à la politique fiction. C’est ce que nous venons de faire. Ça ne vous
arrive jamais ?
En réalité, il est probable que les choses ne se passent pas comme on les avait
imaginées. Surtout, il y a une grande inconnue : la participation. Ce que
pensent les français est sans effet sur le résultat. À dire vrai, on s'en moque. Ce qui compte ce sont
les intentions de ceux qui vont aller voter. Or, c’est là que le bât blesse.
Les sondés qui manifestent leur volonté de voter à la primaire le feront-ils
vraiment ? Y aura-t-il plus de déchet chez les "sympathisants" que
chez les adhérents et les militants ? Si tel était le cas, la primaire pourrait
désigner un candidat qui ne serait pas le mieux placé pour la présidentielle.
Ce risque qui n'est pas théorique montre la limite voire l'effet pervers des primaires.
Ce risque qui n'est pas théorique montre la limite voire l'effet pervers des primaires.
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