Voici
comment débute le discours du théâtre du Rond-Point: « Vous
n’avez pas choisi cette date par hasard, j’en ai bien conscience, elle
correspond au 80ème anniversaire de l’avènement du Front populaire, 35 ans
aussi après la victoire de François MITTERRAND en 1981, 20 ans ou presque après
le succès de Lionel JOSPIN aux législatives de 1997 et quatre ans après mon
élection (…) des dates qui, d’une certaine façon, sont dans l’Histoire. »
Le
message est clair, la gauche a eu quatre prophètes : Léon Blum (Front
populaire), Mitterrand, Jospin, et Moi ("mon élection"). Je suis le
quatrième et sans doute le dernier car, c’est bien connu, le destin des
prophètes entraine la trahison puis le schisme. Pas facile d’être un prophète…
Le
Front populaire de Blum ne dura que quelques mois, à peine le temps de livrer
les cadeaux. Cette équipe de rêve qui conduisit la plus belle majorité de
gauche au parlement ne tarda pas à éclater et cette assemblée mythique finira
dans le déshonneur de Munich et avec le vote des pleins pouvoirs à Pétain (2/3
des parlementaires socialistes, la quasi-totalité des élus radicaux ;
quant aux communistes ils avaient été exclus quelques mois avant pour avoir
soutenu le pacte germano-soviétique). Comme le dit Hollande dans son
discours : « la gauche n’est
jamais aussi belle que lorsqu’elle se conjugue au passé. »
Notons au
passage que Hollande fait le tri dans le passé en "effaçant" la
victoire du "Front républicain" en 1956 qui donna à la France, avec
le socialiste Guy Mollet, le plus long gouvernement de la IVème république.
Alliance de la SFIO, des Radicaux, de l’UDSR de Mitterrand, sur l’engagement de
mettre fin à la guerre d’Algérie et qui, au lieu de la paix promise, mena,
suite à un jet de tomates lors du premier déplacement de Guy Mollet à Alger, à
une féroce répression. C’est sous ce gouvernement que la guillotine fonctionna
à plein régime avec l’approbation du ministre d’état, Garde des sceaux,
François Mitterrand, qui donna son aval à 45 exécutions capitales en 16 mois.
Hollande n’aura que ce commentaire : « si elle (la gauche) se perd comme c’est arrivé en 1956 avec la guerre
d’Algérie… » Guy Mollet ne sera pas prophète en Socialie. Oubli…
L’élection
de Mitterrand fut le grand bonheur de la gauche. Premier président socialiste
élu au suffrage universel après 23 ans d’opposition dans la Vème République.
« La France est passée de l'ombre à
la lumière (Jack Lang) ». Il est resté 14 ans à l’Elysée mais il n’a
jamais pu obtenir le renouvellement de sa majorité lors des élections
législatives suivantes. S’il fut réélu en président en 1988, c’est parce qu’il
sortait de cohabitation et se présentait une fois de plus comme le candidat de
l’opposition; il termina son second mandat comme le premier, en cohabitation
avec la droite.
Jospin
reste le grand drame de la gauche. A l’issue d’un quinquennat béni par la
conjoncture internationale, avec par conséquent un bilan satisfaisant à
présenter (lui, aurait pu dire :"ça va mieux !"), il subit
la plus grande humiliation de la gauche suite à son élimination dès le
premier tour de l’élection présidentielle. Le 21 avril 2002, la France
retombait dans l’ombre…
L’orage
gronde aujourd’hui sur Hollande. Candidat surprise, par défaut dira-t-on, il
fut élu par rejet de son prédécesseur. Jamais un président n’eut autant de fées
sur son berceau. Une opposition en miette, ses concurrents atomisés, tous les
pouvoirs à sa disposition : sénat et assemblée nationale, quasi-totalité
des régions, 2/3 des départements, 60% des villes… La monarchie absolue !
Merci pour ce moment mais il ne dura que le temps d’un été. Il est aujourd’hui
le recordman des couacs ministériels, des défaites électorales, des chutes de
popularité abyssales, des divisions dans sa majorité et des pires résultats
économiques et sociaux ayant porté à un niveau historique le chômage, les
dépenses publiques, la dette... Il y croit toujours, sous prétexte que "ça va mieux". On en reparlera dans
notre prochaine chronique mais pourquoi serait-il le premier dirigeant de
gauche à gagner les élections au sortir de l’exercice du pouvoir, alors que 80%
des français ne souhaitent même pas qu’il soit candidat ? Prophète de
malheur ?
Il
y a dans son discours une jolie phrase : « Ce n’est jamais parce que la gauche est au pouvoir que c’est difficile,
c’est parce que c’est difficile que la gauche est au pouvoir. » C’est
beau mais c’est triste et, surtout un terrible aveu. Être de gauche, c’est vouloir
changer le monde, inventer une nouvelle société, préparer des lendemains qui
chantent ; ce n’est pas réparer les fuites. Si voter à gauche c’est
proposer la médecine parallèle plutôt que des soins palliatifs le rêve français
tourne au cauchemar. Si Hollande a raison sur le fait que la gauche arrive au
pouvoir quand c’est difficile pourquoi serait-il réélu dès lors que, comme il
le prétend, ça va mieux ?
Son
éloge de la gauche française ressemble à
un inventaire : celui des grands noms et celui des grandes réformes. Pour
les premiers, outre les prophètes déjà cités, on trouve dans son
Panthéon : Jean Jaurès, Jean Zay, Mauroy,
Delors, Bérégovoy, Auroux, Ayrault, Valls, Rebsamen, El Khomri. On
parlera plus loin des absents. Sur les grandes réformes, non seulement elles y
sont toutes mais il faut le savoir : toutes les "Grandes Lois"
sont de gauche !
Le plus intéressant dans les inventaires
n’est pas ce qui y figure mais ce qui en est absent. Dommage qu’il n’ait pas
pensé à cette autre jolie phrase : « Chaque fois que la gauche est arrivée au pouvoir, c’est parce qu’elle
était unie. » Eh bien, non ! Hollande a réussi cet exploit
singulier de ne jamais parler de la gauche plurielle, de l’union de la gauche,
"des" gauches. On peut chercher, relire, réécouter, aucune mention du
parti communiste français ni du parti radical ! Thorez, Waldeck Rochet,
Marchais ont conduit pendant des décennies des bataillons de militants qui ont
porté la gauche au pouvoir. Quant à Clemenceau, Mendès France, Edgar Faure,
parmi les hommes politiques les plus honorés, ils sont dans la grande Histoire
de France mais pas dans celle de la Gauche de Hollande. Sans doute parce qu’ils
sont communistes pour les premiers et radicaux pour les seconds ? Quant
aux écologistes, on se demande s’ils n’ont jamais existé. Aujourd’hui on peut
demander : "La gauche combien de divisions ?" mais quand
Staline posait cette question à propos du pape, c’était pour faire apparaître qu’il n’avait pas d’armée tandis qu’à gauche les divisions sont claniques.
Pourtant,
on sait bien que le front popu n’a été possible qu’en raison de l’union de ces
trois forces, que Mitterrand a battu Giscard grâce au programme commun de la
gauche, que Jospin a terrassé la droite en proposant une gauche plurielle et
qu’il a, en revanche, été éliminé parce que la gauche s’était présentée
divisée. Hollande lui-même qui a dû affronter des concurrents sur sa gauche au
premier tour sait ce qu’il leur doit de l’avoir rallié au second, lui offrant
une maigre victoire…
Pour
être de gauche il faut donc être socialiste mais cela ne suffit pas : si
Hollande honore Ayrault et Valls, il ne cite pas Rocard (alors qu’il vante la
CSG), autre grande figure de la gauche mais qui avait commis le crime de
s’opposer au second prophète.
Il y a l’inventaire des hommes, revu et
corrigé grâce à Photoshop, mais il y aussi les grandes réformes. Là, on peut
lui faire confiance. Pas la moindre omission dans l’énoncé des réformes de
"la gauche aux responsabilités" :
on vous épargnera la liste, fort longue, qui va des congés payés jusqu’au
mariage pour tous. Ici encore ce sont les absents que l’on remarque,
c’est-à-dire les réformes faites par la droite : droit de vote pour les
femmes, sécurité sociale, droit de vote à 18 ans, contraception, avortement,
saisine du conseil constitutionnel par tous les citoyens pour la défense de
leurs libertés… Peu de chose, en réalité.
Quand on ignore ses alliés pourquoi
reconnaîtrait-on quelques mérites à ses adversaires ? Mais il n’oublie pas
l’opposition pour autant: « J’en
connais beaucoup d’autres qui, faute
d’imagination, veulent emprunter à d’autres pays la clé de la
réussite. » Freudien, cette histoire de clé ! Vouloir
réussir aussi bien que les autres ne serait pas idiot mais il faut croire que
ce n’est pas de gauche, en tout cas celle que prétend incarner Hollande. Au
fait, dans les oublis, il y a Macron…
Le
second message important de Hollande est donc que la gauche c’est uniquement le
parti socialiste et encore pas tous les socialistes. Bigrement révélateur sur
le personnage et sa capacité à travestir, dissimuler, mépriser… C’est ça la
gauche ? Non, c’est ça Hollande.
Le
troisième message ressemble à un exercice convenu, mais il faut en relever les
mots qui seront à n’en point douter ses références de candidat de gauche. Ils
sont au nombre de quatre que l’on n’a pas fini d’entendre sur tous les tons et
dont on fera croire qu’ils sont des monopoles de la gauche, pardon du parti
socialiste :-la démocratie (politique, sociale, territoriale),-la justice
(fiscale, sociale, territoriale),-l’égalité (École de la République :
laïcité, création de postes, revalorisations salariales),-La modernisation du
pays (produire pour répartir).
Conclusion
de la première partie du discours: « Plus encore aujourd’hui à l’âge de la mondialisation et de
l’information en continu, les évolutions essentielles se gagnent par des
réformes et des réformes graduelles. Il n’y a ni table rase, ni ligne
d’arrivée, il y a un mouvement constant, persévérant. » On a compris
que c’était lui qui devait persévérer et qu’il lui faudra donc se présenter
pour un second mandat.
Nous
verrons dans la prochaine chronique, "Le Trou de souris", les
arguments qu’il déploie pour démontrer qu’il est le seul capable de réaliser
ces "réformes graduelles".
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