François Hollande a annoncé devant
le Congrès réuni le 16 novembre 2015 à Versailles, une réforme de la
constitution pour instituer la déchéance de nationalité à l’encontre des binationaux
"nés Français" en cas de terrorisme.
Cette déchéance ne doit « pas avoir pour résultat de rendre quelqu’un apatride,
mais nous devons pouvoir déchoir de sa nationalité française un individu
condamné pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou un acte de
terrorisme, même s’il est né Français… Je dis bien même s'il est né Français,
dès lors qu'il bénéficie d'une autre nationalité. »
Après un tel pétard on pouvait
s’attendre à de la fumée. Cela n’a pas tardé ! Sur sa gauche, la colère
gronde : il lui faut hurler son "NON" ! La droite est
tétanisée : il lui faut susurrer un "OUI" ! On comprend que
le président veuille se représenter, il est trop marrant ce job…
Bien entendu, arriva ce qui
devait arriver : la pagaille. Ceux qui sont contre ont sorti l’artillerie
lourde face à cette trahison des idéaux de gauche, ceux qui ne peuvent
qu’approuver demandent des précisions, une extension de la mesure et cherchent à échapper à ce piège. Il y a
déjà une victime (consentante) : la garde des sceaux qui a démissionné. À son
tour, Valls est monté au créneau et, multipliant les erreurs (nous en parlerons
plus loin en traitant de l’apatridie), il a efficacement contribué à noircir le
nuage de fumée. Maintenant chacun y va de son
explication et personne n’y comprend plus rien.
Nous allons donc tenter de faire
simple (ceux qui sont motivés trouveront en renvois quelques références
intéressantes) :
1/La déchéance de nationalité existe déjà dans notre droit.
L’article 25 du code civil
stipule que : « L'individu
qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après
avis conforme du Conseil d'Etat, être déchu de la nationalité française,
sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride. » (Voir
la suite de l’article 25 en renvoi(1)). Aujourd’hui, seul peut être déchu
un binational qui n’est pas né français, c'est à dire naturalisé.
L’argument le plus souvent
invoqué est la "rupture d’égalité" entre un binational et un français
ne possédant pas d’autre nationalité. La justice s’est déjà prononcée sur le
sujet et elle a jugé qu’il n’y avait pas d’objection constitutionnelle (2).
Politiquement c’est une autre affaire, comme on le verra plus loin.
Autre argument souvent
avancé : ce projet est inutile car la déchéance ne concernerait en
pratique qu’un nombre très limité de personnes. Une pensée pour Desproges qui
avait dit : « l’abolition de la peine de
mort, oui d’accord, mais ça concerne qui ? Combien de personnes. Grotesque.
»
Donc la déchéance est déjà
possible pour un binational (puisque pour ne pas devenir apatride il faut avoir
une autre nationalité). Il suffit de changer un mot dans la loi pour qu’elle
s’applique aux binationaux nés en France.
Ici réside la grande difficulté
pour Hollande. La gauche, même hollandaise, ne veut plus de référence aux
binationaux, quelle que soit le lieu de naissance, car cela reviendrait à les
discriminer par rapport aux français qui n’ont "que" la nationalité
française. La droite exige pour voter la réforme que la déchéance s’applique à
tous les binationaux nés français ou non, mais seulement aux binationaux car
elle ne veut pas créer d’apatrides. Et tout le monde a bien vu, au travers des nuages de fumée, que quand Hollande dit que la déchéance ne doit pas rendre quelqu’un
apatride cela veut dire qu’elle ne peut s’appliquer qu’à une personne possédant
une seconde nationalité. Pas simple, hein ?
2/On entend tout et son contraire sur l’apatridie.
Dire que la France ne peut pas,
en raison de ses engagements internationaux, rendre une personne apatride n’est
pas exact ainsi que de nombreux juristes l’ont démontré.
Mais écoutons d’abord l’étonnante
déclaration de Manuel Valls : « Seuls
les principes prévus par la Convention internationale de 1954 et la loi
du 16 mars 1998 [...] qui proscrivent la création de nouveaux apatrides
devront continuer à figurer dans notre droit positif. Et la France s’engagera
d’ailleurs dans la ratification de cet accord qu’elle a signé dès 1955. »
Comment un premier ministre
peut-il énoncer de telles contre-vérités, ou faire preuve d’une telle ignorance,
sur un sujet aussi grave, qui doit aboutir à une révision de la constitution,
acte majeur de la République ?
Voici la vérité : La
convention de 1954 sur la question de l’apatridie ? Elle a déjà a déjà été
ratifiée, le 8 mars 1960 ! Et, contrairement à ce que dit le premier
ministre, si elle traite bien du statut des apatrides, elle n’interdit pas
l’apatridie. En réalité, c’est la convention internationale de New-York de 1961
qui limite l’apatridie, mais si la France l’a bien signée, c’est elle qu'elle n’a pas ratifiée (3), de même qu’elle n’a pas ratifié la convention
européenne sur la nationalité de 1997. Il aurait pu citer l'article 15 de la
déclaration universelle des droits de l'homme (4) mais le Conseil d'État a
jugée qu’elle était dépourvue de valeur normative. Quant à la loi de 1998 qui
modifie l’art. 25 du code civil, Valls devrait se souvenir que la loi instaurant
le mariage pour tous a modifié ledit code par une simple loi ! Encore
Bravo, Manuel !
Retenons donc, pour résumer,
qu’en l’état actuel du droit la déchéance de nationalité pourrait être décidée
pour les binationaux nés en France et qu’il est possible de rendre, dans des
situations extrêmes, quelqu’un apatride (voir le dernier § du renvoi (3). Cela revient
à dire que le refus de limiter la déchéance aux binationaux risque d’aboutir à la déchéance pour tous et donc à créer de l’apatridie. Mais le président s’est engagé à ne pas créer
d’apatrides…
Le problème avec la fumée est qu’elle peut vous asphyxier si le vent se lève.
Le problème avec la fumée est qu’elle peut vous asphyxier si le vent se lève.
Pourrait-on nous expliquer
clairement, pour une fois, quelle est vraiment l’utilité d’une réforme de la
constitution sinon de réaliser un coup politique qui parait maintenant bien mal
parti ? Avant de se lancer dans une
telle aventure, ne faudrait-il pas commencer par dire la vérité aux français et
leur proposer une solution juridiquement assurée, politiquement acceptable, moralement
conforme à nos valeurs et surtout compréhensible ? Bref, attendre que le
rideau de fumée se dissipe. Au risque de découvrir qu’il peut
y avoir de la fumée sans feu.
Pardon à tous ceux qui auront
trouvé cette chronique bien indigeste. Mais si l’envie leur prenait de se
quereller en famille ou entre amis, ce qui est inévitable sur un tel sujet, ils trouveront ici quelques arguments pour porter la contradiction, fusse-t-elle de
mauvaise foi…
(1) Conditions d’application de la déchéance selon l’art. 25 :
-« S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou
délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour
un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme.
- S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit
prévu et réprimé par le chapitre II du titre III du livre IV du code pénal
- S'il s'est livré au profit d'un Etat étranger à des actes
incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la
France. »
(2) Le Conseil constitutionnel a validé, en 2013, la
déchéance de nationalité française décrétée à l’encontre d’une personne née au
Maroc en 1970, naturalisé français, condamné à sept ans de prison pour des
faits de terrorisme. Son avocat contestait la validité du décret par le biais
d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC): le Conseil d'État avait
transmis celle-ci au Conseil constitutionnel qui a jugé que : «le grief tiré
d'une atteinte au principe d'égalité doit être écarté».
(3) Convention de 1961, Art. 8-3 :
« Nonobstant la disposition du paragraphe 1 du présent article, un Etat
contractant peut conserver la faculté de priver un individu de sa nationalité,
s'il procède, au moment de la signature, de la ratification ou de l'adhésion, à
une déclaration à cet effet spécifiant un ou plusieurs motifs prévus à sa
législation nationale à cette date et entrant dans les catégories suivantes :
a) Si un individu, dans des conditions impliquant de sa part un
manque de loyalisme envers l'Etat contractant;
i) a, au mépris d'une interdiction expresse de cet Etat, apporté
ou continué d'apporter son concours à un autre Etat, ou reçu ou continué de
recevoir d'un autre Etat des émoluments, ou
ii) a eu un comportement de nature à porter un préjudice grave
aux intérêts essentiels de l'Etat;
b) Si un individu a prêté serment d'allégeance, ou a fait une
déclaration formelle d'allégeance à un autre Etat, ou a manifesté de façon non
douteuse par son comportement sa détermination de répudier son allégeance
envers l'Etat contractant. »
De fait, de nombreux États peuvent appliquer la déchéance en cas
d’atteinte aux intérêts supérieurs de la nation. Ainsi, la
Grande-Bretagne où la déchéance a été étendue, après les attentats de 2005, à
tout citoyen qui « compromet gravement les intérêts
vitaux. » Cette faculté a été largement utilisée ces dernières années
et nous n’avons pas connaissance d’une condamnation de la Grande-Bretagne par
les juridictions internationales.
Quant à la France, elle a fait figurer la réserve suivante
lorsqu’elle a signé, en 1962, cette Convention : « le Gouvernement de la République française
déclare qu'il se réserve d'user, lorsqu'il déposera l'instrument de
ratification de celle-ci, de la faculté qui lui est ouverte par l'article 8,
paragraphe 3, dans les conditions prévues par cette disposition. » Elle
peut donc faire de même. Il faudra s’en
souvenir quand nous procéderons à la ratification !
(4) Article 15 de la déclaration universelle des droits de
l’homme :
"- Tout individu a droit à une nationalité.
- Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du
droit de changer de nationalité."
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