Il est rarement bon de réagir trop
vite sous le coup de l’indignation. C’est pourtant ce que nous avons failli
faire après la déclaration imbécile de Morano sur « la France, pays de
race blanche ». La tentation était vive de lui faire remarquer que la race
blonde existait chez les bovins et qu’elle ferait mieux de réserver sa
candidature pour le prochain salon de l’agriculture…
Alors nous avions décidé de nous en
tenir à la réaction de Jean-Noël Jeanneney qui à la question : "comment
jugez-vous le débat Morano" a répondu : "un buzz imbécile".
Jeanneney n’est pas le nom de n’importe quelle famille, c’est le noyau dur de
la République. Un grand-père ministre de Clémenceau, un père ministre du
Général de Gaulle, et lui-même ministre de Mitterrand. Un Gaulliste, deux
socialistes, trois serviteurs de l’État… Respect !
Mais pourquoi y a-t-il toujours
quelqu’un qui vient tout gâcher ? Il a fallu que l’on remette des pièces
dans la machine.
Le président Hollande d’abord qui
s’est exprimé, lui, un peu trop vite : « la République ne connaît pas
de race … elle ne connaît que des citoyens libres et égaux en droits. »
Personne ne contestera la deuxième partie de la phrase mais comment concilier
le fait que la République ne reconnait pas de race et annoncer dans la foulée
un nouveau texte de loi "faisant de toute inspiration raciste une circonstance
aggravante aux infractions". Déjà, quand il était candidat, il avait
annoncé son intention de supprimer de la constitution le mot "race".
Pourquoi pas, d’ailleurs, puisque le simple mot de "discrimination"
pourrait s’appliquer à toutes les situations portant atteinte à la liberté et à
l’égalité des citoyens. Mais le problème vient de ce que le mot "race"
figure tout au début de la constitution par référence à la déclaration des
droits de l’homme de 1789 et au préambule de la constitution de 1946. Pas
facile de revoir ces textes qui sont les piliers de notre loi fondamentale et
qui érigent en principe supérieur "l’égalité devant la loi de tous les
citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion". Plus
compliqué encore, comment modifier la convention européenne des droits de
l’Homme qui est le texte le plus élevé dans notre hiérarchie des normes ?
Elle stipule que "la jouissance des droits et libertés reconnues dans la
présente convention doit être assurée sans distinction aucune, fondée notamment
sur le sexe, la race, la couleur". Alors pas de démagogie ridicule, il
n’est plus possible de supprimer le mot race des textes constitutifs de notre
République. De toute façon, il figure dans de nombreuses lois de répression du
racisme et on en votera autant d’autres qu’il sera nécessaire. Montherlant
disait : « La chose disparaît quand on y met le mot. » En
matière de racisme c’est l’inverse : à quoi bon supprimer le mot quand la
chose reste si présente ? D’ailleurs, on peut aussi dire de très belles
choses avec ce mot.
Amadou Hampathé Ba :« Ce
qu’il faudrait c’est toujours concéder à son prochain qu’il a une parcelle de
vérité et non pas dire toute la vérité est à moi, à mon pays, à ma race. »
Aimé Césaire : « Aucune race n’a le
monopole de l’intelligence, de la beauté, de la force et il y aura une place
pour tous au rendez-vous de la victoire »
Léopold Sédar Senghor : « Ma
négritude point n’est sommeil de la race mais soleil de l’âme. »
Jean Jaurès : « C’est qu’au
fond, il n’y a qu’une seule race : l’Humanité. »
Cette dernière citation nous la
dédions à Charlie Hebdo qui, parait-il, a de l’humour mais qui vient une
nouvelle fois de manquer d’humanité. Sa dernière "Une" qui représente
le général de Gaulle avec un bébé dans les bras sous les traits déformés de Morano,
avec cette légende : "La fille trisomique cachée de de Gaulle"
est absolument abjecte. Non seulement parce que de Gaulle, comme tant de familles,
a effectivement eu une fille trisomique mais aussi parce qu’il fut un temps où
la trisomie- on disait alors mongolisme- était considérée comme une
dégénérescence raciale. Enfin, parce que Morano a menti en attribuant la phrase
"de race blanche aux racines chrétiennes" aux écrits de de Gaulle. Il
n’existe aucun texte ni aucun discours où cette phrase fut prononcée. Il s’agit,
peut-être, personne n’en a la preuve, d’une conversation privée racontée 20 ans
après par Alain Peyrefitte, sans aucune référence ni aucun témoignage. Et l’on
sait tout ce que l’on a fait dire au général. Mais Charlie Hebdo ignore ce
qu’est l’eugénisme et croit tout ce que dit Morano… On se souvient que l’on
appelait affectueusement de Gaulle, Charlot. Décidemment nous nous sentons plus
Charlot que Charlie…
En réalité, s’il fallait modifier
quelque chose dans la constitution ce serait sa devise. Non pas pour retirer mais
pour rajouter un mot, qui fait ces temps-ci gravement défaut à notre pays,
celui de respect. Tout le monde comprendrait qu’il n’y a pas de liberté sans
respect de celle d’autrui, pas d’égalité sans respect des différences, ni de
fraternité sans respect des défavorisés.
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