L’événement majeur de la rentrée 2015,
si l’on exclut bien sûr la question des migrants, est la réforme du droit du
travail. Sur le diagnostic tout le monde ou presque est d’accord : il est
devenu illisible, difficilement applicable et il constitue un frein à l’embauche.
Valls veut donc "revoir en
profondeur" le droit du travail afin de le simplifier et de l’alléger.
Lors de sa conférence de presse du 7 septembre Hollande affirme sa volonté de "l’adapter"
afin de lui donner "davantage de souplesse".
L’idée générale est de renvoyer au
niveau des entreprises, et par la négociation, les modalités de son
application. Elle est très largement partagée. Deux Think Tanks, l’un de
gauche, Terra Nova, l’autre de droite, l’Institut Montaigne, disent exactement
la même chose et le rapport Combrexelle commandé par le gouvernement, et qui sera
officiellement remis demain au premier ministre, est encore plus audacieux
dans le renvoi à la négociation collective toutes les dispositions qui n’auraient
pas un caractère impératif (essentiellement la règle d’ordre publique des … 48H
( !) de durée maximale du travail et le SMIC). Evidemment la droite souhaite
aller le plus loin dans cette direction.
Ne rêvons pas. Comme le disait Rocard
à propos de la réforme des retraites : « il y a de quoi faire sauter plusieurs
gouvernements.» Déjà, les autres syndicats, CGT et FO notamment, sont
vent debout, or les accords d’entreprises devront avoir été approuvés par des
syndicats ayant recueilli au moins 50% de voix (*). Quant à la gauche de la
gauche (frondeurs, verts, front de gauche) elle est en train d’ériger des
barricades.
On sait déjà ce qui va se passer :
une réforme - parce que le candidat Hollande fait des réformes - "a minima".
D’ailleurs, ne vient-il pas de préciser qu’il n’était pas question de toucher
aux "tabous" (sic) que sont le Smic, la durée légale du travail et le
contrat de travail ? En plus, il y aura sûrement des amendements
parlementaires pour en rajouter une couche et sans doute l’obligation de recourir
au 49.3. Pas de révolution donc.
Pour autant, la révolution, elle est en
marche (dislocation de gauche) mais en dehors du droit du travail et l’on peut
se demander si le débat n’arrive pas trop tard, un peu comme les États généraux
en 1789.
La raison d’être du code du travail
était la protection du salarié. Il a réussi, sans doute un peu trop même.
Aujourd’hui la vraie question est : le salariat a-t-il un avenir ? On
se souvient de ce que disait le marxisme sur la dictature du prolétariat et le
dépérissement de l’État. Le prolétariat est une espèce en voie de disparition et
le salariat risque de ne plus être le principal pourvoyeur de travail.
Déjà, nombreux sont ceux qui échappent
au code du travail. Les 6 millions de chômeurs, d’abord, dont on ne peut pas
dire qu’ils aient été vraiment protégés. Les 6 millions également de
fonctionnaires. Cela parait étonnant mais ils ne relèvent pas du code du
travail. D’ailleurs, ils ne perçoivent pas un salaire mais un traitement, comme
s’il s’agissait d’une maladie… Et il y a tous les travailleurs indépendants. On
ne peut donc pas dire que le code du travail soit pour tous.
Mais il y a bien plus sérieux. Ce qui
risque de bouleverser tout le paysage de travail, pour ne pas dire la société,
c’est ce que l’on appelle l’économie du partage ou l’économie participative qui
se développe sur le net et généralise une nouvelle façon de consommer et donc
de produire et de vendre. C’est à dire de travailler.
Le salariat se caractérise par la subordination hiérarchique à un
employeur, le contrat de travail qui le lie à lui et le salaire forfaitaire qui
lui est versé. Rien de tout cela dans les nouvelles activités proposées sur le net.
Plus de hiérarchie, plus de contraintes,
seulement un échange. C’est moins cher et plus sympa.
Vous devez vous rendre à l’aéroport, le
taxi n’est plus obligatoire et les applications ne manquent pas : Uber, Le
Cab, etc. avec le sourire en plus.
Vous préférez voyager par la route ? Plutôt
que d’utiliser votre voiture ou d’en louer une : Blablacar (covoiturage). Pas cher et
convivial.
Vous cherchez un hébergement ? Un
particulier vous louera une chambre dans son appartement et même son appartement : Airbnb.
Peu de domaines échappent aujourd’hui
à cette nouvelle économie et les plateformes sont innombrables.
Des amis à dîner mais pas envie de cuisiner ni de
payer un restaurant ? Super Marmite: des particuliers vous proposent des petits
plats faits maison.
Acheter des produits de la ferme ?
Les ANAP qui mettent en contact direct le paysan et le client.
Emprunter de l’argent ? Sur Crowfunding
vous trouverez des particuliers pour vous en prêter plutôt que d’engraisser les
banques.
Besoin d’une perceuse ou d’un Karcher ?
De nombreux sites mettent en contact des voisins (Share Voisin…).
En fait, il y a des plateformes pour à
peu près tout sur internet et l’on peut soi-même proposer biens et services.
On peut trouver cela très bien. Après
tout c’est Pierre Bergé qui disait que louer son ventre pour une GPA n’était
pas pire que de louer son bras à un patron. Alors sa voiture ou une chambre
dans son appartement… C’est moderne, convivial, participatif et souvent
écologique. Seul problème, si c’est également économique, c’est que ces activités
échappent très largement aux contributions sociales et aux impôts. Or notre
fiscalité est largement assise sur les salaires. Qui c’est qui va financer le
modèle social français ?
Et que vont devenir tous les métiers
dont le chiffre d’affaires va être siphonné par cette nouvelle économie (on le
voit déjà avec Amazon et la disparition des libraires) ? Des chômeurs ?
Mais il n’y aura plus assez d’argent pour payer les indemnités, comme les
retraites d’ailleurs, ou les fonctionnaires.
On ne peut pas croire en ce scénario
catastrophe n’est-ce pas ? Demandez donc aux taxis ou aux hôteliers ce qu’ils
en pensent …Mais plutôt que commencer un grand combat pour quelques
assouplissements d’un code du travail qui ne concernera bientôt plus qu’une
minorité de travailleurs ne faudrait-il pas plutôt, ou aussi, commencer à
réfléchir à la manière d’intégrer l’économie participative dans l’économie tout
court ? Et s’occuper également de tous les travailleurs non salariés ?
Il ne suffira pas d’une loi.
(*) Contre 30% actuellement. Autant
dire qu’avec cette règle et compte tenu du fait que, par idéologie, la CGT ne
signe quasiment jamais d’accords d’entreprises ou de branches, tout le reste
devient du wishful thinking (du pipeau, quoi …)
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