"Quand la Grèce parlait,
l’univers en silence respectait le mensonge ennobli par sa voix »
(Voltaire- Odes, Œuvres complètes).
Grand
ouf de soulagement : le monde est sauvé, la Grèce s’est résolue à proposer
un projet d’accord avec ses
créanciers ! "Un programme sérieux et crédible", c’est Hollande
qui le dit. Alors...
Notons
au passage le terme péjoratif de "créanciers ". Vous avez un ami
qui s’est mis dans une situation dramatique à force de vivre au-dessus de ses
moyens ; croyant bien faire, c’est dans le besoin que l’on reconnaît ses amis, vous lui prêtez de sous, beaucoup
de sous. Mais il vous annonce bientôt qu’il ne pourra pas vous rembourser, vous
n’êtes plus un ami, vous êtes un créancier. "Les seuls qui se rapprochent
de vous dans le malheur sont les créanciers", disait Orson Welles.
Mais
enfin, il s’agit de la Grèce, que ne ferait-on pas pour la belle Hellène…
Nous
vous épargnerons le détail de cette rocambolesque histoire, un vrai drame antique. Essayons
simplement de résumer.
Le
peuple grec, qui est le seul à choisir démocratiquement ses dirigeants, se
donne comme chef un populiste d’extrême gauche, ce qui n’est pas un pléonasme
puisqu’il existe des populistes d’extrême droite. D’ailleurs, pour accéder au
pouvoir notre grand acrobate grec s’allie tout naturellement avec le parti
souverainiste. Exactement comme si, en France, Mélenchon faisait alliance avec
de Villiers.
On
allait voir ce qu’on allait voir… Plus question de faire des économies pour
équilibrer les comptes, on va, au contraire, dépenser plus ce qui relancera la
croissance. Quant aux créanciers, ils pourront aller se faire voir…ailleurs.
Évidemment,
les pays qui ont aidé la Grèce n’apprécient pas. Sauf un, la France, où les
extrêmes du front de gauche et du front national entrent en orgasme (oui, ça
vient du grec !), encouragés par le président lui-même qui y voit
l’occasion rêvée de se réconcilier avec
la gauche de la gauche qui risquait de réduire à néant ses espoirs de réélection.
Pour
continuer à bénéficier de leur aide, les créanciers demandent à la Grèce de
s’engager enfin sur la voie de la bonne gestion et pour cela, de faires des
réformes et de contraindre ses dépenses. Ils se conduisent comme des
créanciers, en somme.
Coup
de génie de notre grand stratège grec qui organise un référendum pour demander
à son peuple de rejeter le projet d’accord que l’on veut lui imposer. Ce qu’il
fait à une large majorité. Vous imaginez la Grèce refuser de continuer à
dépenser plus qu’elle ne gagne et insister pour payer sa dette ?
Les
grecs décident donc, démocratiquement, de faire la nique aux créanciers.
Comment pourraient-ils penser que l’on oserait s’opposer à l’expression
souveraine du peuple au pays de la démocratie ?
C’est
pourtant ce à quoi nous avons assisté puisque si les français trouvent au fond assez normal
d’accumuler dettes et déficits, il n’en va pas de même dans d’autres pays
d’Europe qui laissent entendre qu’ils ne sont pas totalement opposés à un exit
de la Grèce.
Le
grand magicien grec ne se laisse pas démonter par cette ingratitude et sort
devant nos yeux ébahis un nouveau tour à sa façon : le voilà qui accepte
d’un coup tout ce qu’il a refusé avant ! Tout et même un peu plus que ce
que le peuple a décidé, à sa demande, de rejeter…
Oui,
mais notre grand illusionniste grec a la parade : les créanciers ne
peuvent plus lui refuser de discuter des modalités de remboursement de la dette.
Il fait donc miroiter rééchelonnement, restructuration, décote… En
français : la Grèce va bénéficier d’une réduction de sa dette.
Nous
atteignons le sommet de l’absurde !
Quelle
est la mesure la plus symbolique, celle que l’on présente comme la plus dure ?
Une hausse de la TVA de 10 points ! De 13% à 23%. Si ce n’est pas un
effort, on y perd notre grec… Mais à quoi cela rime-t-il d’augmenter le taux de
TVA dans un pays où le sport national est de ne pas la payer ? Où tout se
paye en espèces …
Mais
il ne faut surtout pas dire que la Grèce n’a pas d’administration capable de
collecter l’impôt.
Quant
à la dette, à quel jeu joue-t-on quand on soutient, d’un côté, la nécessité de
réduire la dette et quand on s’y oppose, de l’autre, avec la plus grande
fermeté au nom des principes ? Alors que tout le monde sait parfaitement
que la Grèce est incapable, aujourd’hui et demain, de l’honorer.
Mais
il ne faut surtout pas dire que la dette grecque est irrémédiablement compromise…
Alors
tout le monde respecte le mensonge.
De
toute façon, l’accord lui-même tout le monde s’en fiche. On sent bien que
l’enjeu n’est pas vraiment financier dès lors que les conséquences, mêmes les
plus lourdes, ne pèseront d’aucun poids à court terme puisqu’elles seront, comme le dit avec finesse notre
ministre des finances, "étalées dans le temps". Et personne ne
souhaite vraiment assumer la responsabilité d’une sortie de la Grèce qui
pourrait avoir de graves conséquences géopoliques.
Le
véritable enjeu est interne à chaque pays et strictement politique, électoral
même…
Tsipras,
puisqu’il faut l’appeler par son nom, a compris qu’il ne se maintiendrait au
pouvoir que s’il se débarrassait des plus excités de ses extrémistes et
trouvait des alliances sur sa droite. C’est ainsi qu’il a fait approuver son
projet d’accord par les socialistes, les centristes et la droite Républicaine.
Du coup, il reçoit les critiques les plus violentes des grandes gueules de son
propre parti, des communistes et de l’extrême droite. On
se croirait en France ! Mélenchon qui voulait bouffer du créancier se retrouve
cocu, les communistes sont furieux et le front national, qui avait tout misé
sur une sortie de l’euro, se fait tout petit parce que la quasi-totalité des
grecs a compris qu’il n’y avait pas d’avenir en dehors de la monnaie unique.
Hollande a gagné son brevet des défenseurs des peuples opprimés. Merkel
a bien reçu le message d’Obama : pas question que la Grèce sorte de
l’Europe ! Nous en avons trop besoin face aux périls des Balkans, aux
avancées de Daesh, à l’invasion des migrants, aux ambitions de la Russie. Alors
elle godille, affiche une grande fermeté pour ne pas se laisser déborder par
ses alliés socialistes qui se font passer pour des durs. Chacun
joue son rôle, joue avec le feu. Pitoyables acteurs! Dans le théâtre grec les acteurs portaient un masque; sans doute pour ne pas perdre la face...
L’ode
de Voltaire se poursuit ainsi : "et l’admiratrice, fille de
l’ignorance, chanta de vains exploits."
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