Sale temps pour les libertés publiques !
La nauséabonde affaire Dieudonné et le
juste combat contre l’antisémitisme imbécile qu’elle a légitimement suscité, se
terminent sur une victoire apparente dont on n’a pas fini de mesurer les dégâts
collatéraux.
D’abord, c’est un pan de mur des
libertés publiques qui s’effondre. La liberté d’opinion et d’expression considérée
comme fondamentale par les déclarations successives des droits de l’homme vient
de subir un recul. Certes, l’affaire n’est pas terminée : le Conseil d’État
devra se prononcer au fond et collégialement ; la Cour Européenne des Droits
de l’Homme, particulièrement vigilante sur la question, finira par avoir le
dernier mot. Reste qu’aujourd’hui le pouvoir (c’est à dire un ministre, un préfet, un maire) peut interdire
l’exercice de cette liberté publique dès lors qu’il jugera, non plus seulement
que l’ordre public est menacé de manière grave et que la police est dans l’incapacité
de "prévenir ces troubles par des mesures de police appropriées", mais
aussi lorsqu’elle anticipera que pourraient être tenus des propos "en méconnaissance
de la dignité de la personne humaine" et "susceptibles de nuire à la
cohésion nationale".
Tant que le parcours judiciaire n’est
pas achevé chacun peut avoir son opinion. Mais l’enjeu de cette évolution
jurisprudentielle est important : traditionnellement le juge administratif
était le protecteur ex-ante des libertés publiques et le juge judiciaire était
en charge de la pénalisation, à posteriori, des actes contraires à la loi. Il
suffit d’écouter les magistrats des diverses obédiences syndicales ou politiques
pour comprendre que cette extension des pouvoirs du Conseil d’état n’est pas
vraiment de leur goût…
Deuxième souci pour les libertés
publiques : la déclaration du ministre de l’intérieur selon laquelle la
décision du Conseil d’État était une « victoire pour la République »,
ce qui revient à dire, si les mots ont un sens, que si le Conseil avait
confirmé sa jurisprudence constante, cela aurait été une défaite pour la
République. Curieuse conception de la séparation des pouvoirs…
Le troisième sujet d’inquiétude,
peut-être le plus grave, réside dans l’illustration par cette affaire de la
concurrence mémorielle à laquelle on assiste en ce moment et que l’on préfère
ne pas trop observer tant elle dérange. Mais il faut bien le constater : l’antisémitisme
auquel l’on pense généralement, qui est bien une réalité qu’il faut combattre
résolument, est essentiellement un antisémitisme européen et occidental ;
aujourd’hui un autre antisémitisme se développe chez ceux qui pointent les
victimes d’Israël en Palestine et qui considèrent que le devoir de mémoire sur
la shoah laisse peu de place à la commémoration des victimes de l’esclavage(1).
Là réside le plus grand danger que celui qui se prétend humoriste fait courir à notre
société. Par sa pensée, par ses propos et grâce à la publicité que cette
affaire lui a offerte, il est en train de devenir le fédérateur de deux
antisémitismes : celui, traditionnel, de l’extrême droite et celui, plutôt
à gauche, découlant du combat identitaire des militants de la cause palestinienne et de ceux qui reprochent au système, de fermer les yeux sur la traite
négrière. Pas sûr que, de ce côté-là, on juge positive l’avancée du Conseil d’État.
A côté de la gravité du sujet que nous
venons de traiter, la deuxième brèche qui vient de s’ouvrir dans le mur des libertés
publiques peut paraitre dérisoire, nous allions écrire comique, mais cela l'est aussi peu que le spectacle de Dieudonné (qui s'intitule "Le Mur" ; décidément, on n’en sort
pas !). Pourtant, n’en doutons pas, cette nouvelle affaire va, sans doute, supplanter le Bla-Bla-M’Bala
et rejeter les quenelles avariées dans les poubelles de l’histoire.
Il s’agit des révélations sur la vie
privée du Président de la République. Nous n’en dirons pas plus mais, cette
fois-ci, c’est le respect de la personnalité et de l’intimité, autre droit
fondamental, qui en prend un coup. Oh ! On entend déjà les plaidoyers pour
la transparence, la modernité, le droit d’informer, on va même invoquer la liberté d’expression,
décidemment bien maltraitée en ce moment.
Reste que nous venons d’assister, coup
sur coup, à la chute de deux murs. Mais rassurez-vous, le mur des cons résiste
encore…
(1)Régis Debray avait déclaré, à propos
du devoir de mémoire : « Autant le devoir de
mémoire est nécessaire, autant son abus est contre-productif (...) Il y a un
risque d'escalade, d'une surenchère, d'une concurrence des mémoires. Celles-ci
pourraient bientôt provoquer, dans le monde des banlieues, la revendication
d'une adoption des victimes d'Israël en Palestine. Et puis il y a les Tsiganes,
il y a les Arméniens, et puis il y a surtout les Noirs. (...) Au lieu d'unifier, j'ai peur que cette
initiative ne divise selon des clivages communautaires et confessionnels.»
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