Hommage unanime a été rendu à Pierre Mauroy sitôt son décès annoncé, dans tous les médias,
à gauche comme à droite. Ne soyons pas en reste, l’homme le
méritait : chaleureux, humain, fidèle défenseur des classes populaires.
Peut-être le dernier vrai socialiste. S’il reste encore des éléphants au PS, ce
fut le dernier dinosaure.
Oui, l’homme le méritait. Mais le
politique ?
Si l’on considère son bilan à la tête
du gouvernement, entre 1981 et 1984, il faut bien reconnaître que son nom
restera attaché aux mesures économiques et sociales qui parachevèrent le fameux "modèle français" dont nos amis se désolent, qui réjouit nos concurrents et que
l’on paye aujourd’hui en déficits, chômage et sacrifices pour tous. Le paradoxe
est que ces mesures font toujours la fierté de la gauche et que la droite,
tétanisée, n’a jamais osé vraiment les remettre en cause.
C’est sous son gouvernement que l’on a
avancé l’âge de la retraite, commencé à
réduire le temps de travail, qu'a été instauré l’ISF, que l’on a
procédé aux nationalisations et multiplié les emplois publics. Dès son arrivée, le smic a été augmenté de 10%, le minimum vieillesse de 20%, les allocations
familiales de 15%...
On dira qu’il s’agissait de promesses
de Mitterrand et qu'il s’est contenté
de les mettre en œuvre. Ce serait lui faire injure et, d’ailleurs, pourquoi
tant d’éloges si, comme on le dira plus tard à propos de quelqu’un d’autre, il
n’était qu’un " exécutant " ?
Mauroy était le modèle de ces
socialistes qui croyaient, de bonne foi, au progrès éternel, à la croissance
sans fin et à la redistribution sans limite. « Moins de travail, plus de
prestations » était son credo.
Deux ans plus tard, c’est la
catastrophe : le taux de chômage bondit (7,9% en 1981, 10,2% en 1984) l’inflation dépasse les 12%, les capitaux
s’enfuient et la France doit dévaluer sa monnaie chaque année (entre 1981 et
1984 le franc aura perdu le quart de sa valeur face au deutschemark), les
déficits et la dette explosent…
Si hommage doit être rendu à l’homme
politique, c’est pour le courage dont il a fait preuve lorsqu’arriva
le moment de payer l’addition. C’est à lui que l’on doit le maintien de la
France dans le système monétaire européen, contre la volonté première de
François Mitterrand. Et c’est lui qui assuma le cruel changement de cap en
procédant à ce que l’on a appelé le "tournant de la rigueur" qui
fut le passage du rêve à la réalité, des promesses aux renoncements. Aux
élections législatives suivantes la gauche était renvoyée dans l’opposition et
Mitterrand contraint de cohabiter avec
Chirac à Matignon.
Telle est donc la morale de que nous a
laissée Mauroy : Le rêve est le sel de la vie mais c’est dans la réalité qu’elle
trace son chemin.
L’ironie de l’Histoire veut que son
décès coïncidât avec l’annonce par le gouvernement de la réforme des retraites.
Tout le monde se souvient du dernier
grand discours qu’il avait prononcé, au sénat en 2010, contre le projet de
réforme des retraites de Sarkozy, en particulier le passage à 62 ans. Personne
n’est resté insensible au talent et à l’émotion de l’orateur.
Souvenez-vous : « La retraite à 60 ans, c’est une ligne de vie,
c’est une ligne de souffrance, c’est une ligne de revendication, c’est une
ligne d’espoir…
Certes, nous sommes partisans d’une
réforme, de changements, nous savons bien que les conditions ont évolué, que la
situation actuelle est différente … mais ce n’est pas une raison pour rayer
cette ligne de vie, cette ligne de combat…. Nous ne voulons pas abandonner la
retraite à 60 ans. »
Peut-être est-il parti pour ne pas entendre
ce que Hollande allait dire : « Le déficit des retraites est
insoutenable … Je refuse de reporter le fardeau sur les générations à venir… on
vit plus longtemps on devra travailler plus longtemps. »
Le rêve est bien mort … Enfin, si les engagements
qui contredisent les précédentes promesses ne sont pas trahis par les prochaines
mesures.
C’est sur ce dossier- dont Rocard
disait : "avec la réforme des retraites, il y a de quoi faire tomber
cinq gouvernements" - que Hollande va, sans doute, jouer son quinquennat.
Il a choisi une méthode, celle de la
concertation. Laissons-le donc faire avant de commenter. Rappelons simplement
les enjeux.
L’enjeu financier d’abord : d’ici
2020 le déficit cumulé de l’ensemble de toutes les branches sera supérieur à
200 milliards d’euros (chiffres du COR, le très officiel Comité d’orientation
des Retraites). Pour la seule année 2020, le "trou" sera de 20
milliards; 8 pour les complémentaires du privé, 7 pour les retraites des
fonctionnaires, et 5 pour le régime général (1).
La retraite à 60 ans n’était donc pas
qu’une ligne de vie…
L’enjeu politique ensuite. Si l’on en
croit la communication gouvernementale tout le monde sera appelé à faire des
efforts :
-Les retraités devraient perdre l’abattement
de 10% sur leur revenu, voir leur CSG alignée sur celle des actifs (hausse de
6,6% à 7,5%), supporter une désindexation partielle des pensions sur l’inflation,
perdre le bonus de 10% pour le troisième enfant (2).
-Les actifs pourraient échapper à un relèvement
des limites d’âge (62 ou 60 ans pour le départ à la retraite, 67 pour le taux
plein) en contrepartie d’un relèvement de la durée de cotisation (de 41,5 années
en 2018 à 43 ou 44). Le mode de calcul pourrait être modifié en imposant un
niveau de salaire supérieur au montant pris en compte (par exemple 105 euros pris
en compte pour 100 euros).
-Les fonctionnaires verraient leur
pension calculée sur la moyenne des dix dernières années au lieu des 6 derniers
mois de salaires comme aujourd’hui.
-Les employeurs subiraient une hausse
des cotisations retraites (0,30% ?).
Au total donc, pas de révolution :
le régime par répartition serait préservé, la retraite par points ne serait
plus envisagée. En contrepartie, il y aurait un effort de tous et, très
vraisemblablement, un mécontentement général.
Réforme de la retraite ou retraite sur
la réforme ? Tel est l’enjeu des prochains mois et la grande affaire du
règne de François II.
Le rêve est mort avec Mauroy, voyons s’il
y a de l’espoir avec Hollande…
(1)On peut se demander à quoi aura
servi la réforme Sarkozy. Le COR répond à cette question : trop mesurée et
n’ayant pas prévu la crise elle n’aura comblé que la moitié du trou. 20 milliards
économisés par la droite, 20 milliards à trouver par la gauche. Voilà, au moins,
un sujet de consensus, même si la gauche s’était opposée à la précédente
réforme comme la droite s’opposera à la prochaine…
(2)La voilà bien la preuve que le soi-disant
déficit de la branche famille était bien dû à un transfert vers la retraite.
Plus de bonus sur les pensions, plus de déficit des allocations familiales !
Trop tard la mesure est passée…
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